Seule la notification en main propre fait courir le délai de recours contentieux contre une OQTF sans délai

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Eu égard aux garanties qu’elle présente, seule la notification par voie administrative de l’OQTF sans délai de départ volontaire est de nature à faire courir le délai contentieux spécial de 48 heures.

DALLOZ, 2 juillet 2020

Il existe plusieurs catégories de mesures d’éloignement prononcées à l’égard des ressortissants étrangers en situation administrative irrégulière, parmi lesquelles figurent les obligations de quitter le territoire français (OQTF) dites « sans délai », c’est-à-dire non assortie du délai traditionnel de départ volontaire de trente jours. L’autorité administrative peut en effet, selon le II de l’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), décider que l’étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français, sous réserves de certaines exceptions, si le comportement de l’étranger constitue une menace pour l’ordre public, si l’étranger s’est vu refuser le droit au séjour au motif que sa demande était ou manifestement infondée ou frauduleuse, ou encore s’il existe un risque de fuite.

Conformément au II de l’article L. 512-1 du même code, le destinataire d’une OQTF sans délai peut saisir le président du tribunal administratif d’une demande d’annulation « dans les quarante-huit heures suivant la notification de la décision par voie administrative », c’est-à-dire suivant sa remise en main propre, soit par un agent de police à l’issue d’une interpellation ou d’une garde à vue, soit au guichet de la préfecture.

Aussi, eu égard au caractère extrêmement court du délai dont dispose le destinataire pour saisir le juge et au risque accru de forclusion, la question de l’opposabilité du délai de recours s’avère capitale. Or, le Conseil d’État ne s’était jusqu’ici jamais prononcé sur la question de savoir si seules les modalités de notification prévues au II de l’article L. 512-1 sont de nature à faire courir le délai de recours contentieux de 48 heures, ou si au contraire, la notification par voie postale de l’OQTF suffit à enfermer dans le temps l’action contentieuse de son destinataire.

Une harmonisation difficile des cours administratives d’appel jusqu’ici

Les cours administratives d’appel ont dans leur majorité harmonisé leurs lignes jurisprudentielles, en admettant la recevabilité des requêtes introduites après l’expiration du délai de quarante-huit heures contre des OQTF notifiées par voie postale. Néanmoins, les motifs de cette position diffèrent encore aujourd’hui : si la majorité des arrêts considèrent que c’est la lettre de l’article L. 512-1 du CESEDA qui fait obstacle au déclenchement du délai de recours à défaut de remise en mains propres (CAA Bordeaux, 14 janv. 2020, n° 19BX02116 ; CAA Lyon, 3 avr. 2020, n° 19LY00576 ; CAA Versailles, 21 mars 2019, n° 18VE02782, AJDA 2019. 1729  ; CAA Paris, 29 avr. 2014,  n° 13PA03246), d’autres refusent l’opposabilité du délai de recours en jugeant, sur la base d’une jurisprudence du Conseil d’État, que la notification par pli recommandé ne présente pas les garanties équivalentes à la notification administrative (CAA Bordeaux, 19 mai 2020, n° 19BX03844).

En effet sur ce deuxième point, la jurisprudence du Conseil d’État permet de regarder comme régulière une notification qui, bien que n’étant pas conforme aux modalités imposées par les textes applicables, est faite « dans des formes présentant des garanties équivalentes » au profit de son destinataire (CE 26 juill. 1985, n° 46236, Société « Nouvelle clinique Beausoleil », Lebon  ; 1er juill. 2009, n° 312260, Société Holding JLP, Lebon  ; AJDA 2009. 1341  ; ibid. 1848 , concl. A. Courrèges  ; RDI 2009. 604, obs. P. Soler-Couteaux  ; CE, 28 avr. 2000, n° 198565, Epoux Gilloire, Lebon  ; RDI 2000. 328, obs. J. Morand-Deviller ). Aussi sur la base de cette jurisprudence, la cour administrative d’appel de Versailles a pu s’écarter du courant majoritaire, en estimant que la notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception comportant l’indication des voies et délais de recours présentait des garanties équivalentes à celles exigées par le II de l’article L. 512-1, et faisait dès lors bel et bien courir le délai de recours contentieux (CAA Versailles, 28 juin 2018, n° 18VE00389 ; CAA Versailles, 8 févr. 2018, n° 17VE02184).

Toutefois dans les décisions précitées du Conseil d’État, les modalités obligatoires de notification étaient régies par des dispositions réglementaires, de sorte que le doute était permis quant à une transposition pure et simple de la théorie de l’équivalence à des modalités exigées par le législateur. Cette position, en tant qu’elle retient comme point de départ du délai de recours le jour de retrait du pli recommandé, apparaissait en outre difficilement conciliable avec les modalités de computation du délai, le Conseil d’État ayant jugé que le législateur a entendu que ce délai soit décompté d’heure à heure (CE 22 juin 2012, n° 352388, GISTI, Lebon ; AJDA 2012. 1258 ; RFDA 2012. 961, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci ).

Finalement, le Conseil d’État tranchera la question en considérant qu’ « il résulte du II de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) et du II de l’article R. 776-2 du code de justice administrative (CJA) que les décisions portant obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai de départ volontaire peuvent faire l’objet d’un recours devant la juridiction administrative dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification par voie administrative. Par suite, la notification d’une telle OQTF à l’intéressé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, quand bien même elle comporte l’indication de ce délai de recours contentieux, n’est pas de nature à le faire courir ». Ainsi, le Conseil d’État met fin à la possibilité de regarder l’envoi postal comme présentant des garanties équivalentes dès lors que le législateur a déterminé les modalités de notification qu’il convient de respecter.

La notification administrative, gardienne de l’effectivité des garanties de l’étranger

S’il est désormais acquis que la notification par voie postale, y compris par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ne fait pas courir le délai de recours contre l’OQTF sèche, c’est en raison des fortes garanties souhaitées par le législateur autour de cette mesure particulière. Garanties résultant de la transposition en droit interne, par la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, de la « directive retour » du Parlement européen qui encadre de manière détaillée les garanties accordées aux ressortissants des États tiers concernés par les décisions d’éloignement ou de rétention, et qui prévoit notamment le droit d’être entendu préalablement à l’adoption d’une décision de retour (dir. 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier).

Le Conseil constitutionnel, saisi par voie de QPC de la conformité des conditions de contestation d’un arrêté portant reconduite à la frontière (APRF), qui sont identiques à celles d’une OQTF sans délai, a précisé la portée de ces garanties : « (…) l’article L. 512-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile impose que, dès la notification de l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, qui doit intervenir par voie administrative, l’étranger soit mis en mesure, dans les meilleurs délais, d’avertir un conseil, son consulat ou une personne de son choix. Le même article prévoit également que l’étranger est informé qu’il peut recevoir communication des principaux éléments des décisions qui lui sont notifiées. Il précise enfin que ces éléments lui sont communiqués dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend. Il résulte de ces dispositions que l’étranger doit se voir informer, dès la notification de la mesure d’éloignement, dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend, de son droit d’obtenir l’assistance d’un interprète et d’un conseil ». Et d’affirmer, à plus forte raison qu’« il appartient à l’administration (…) d’assurer l’effectivité de l’ensemble des garanties précitées » (Cons. const. 19 oct. 2018, n° 2018-741 QPC, cons. 11, AJDA 2018. 2049  ; D. 2018. 2024  ; ibid. 2019. 1248, obs. E. Debaets et N. Jacquinot  ; Constitutions 2018. 426, chron. C. Pouly  ; ibid. 462, Décision  ; ibid. 551, chron. O. Le Bot ).

Les nombreuses obligations mises à la charge de l’administration par l’article L. 512-2 du CESEDA impliquent par elles-mêmes une notification orale de l’OQTF et la présence physique d’un agent, chargé de s’assurer que la notification se fasse dans une langue que l’étranger comprend et de livrer des informations complètes sur son droit d’obtenir l’assistance d’un interprète et d’un conseil.

Conséquence logique, le Conseil d’État met fin aux dernières hésitations des cours administratives d’appel, et juge désormais que les recours présentés à l’encontre des OQTF sans délai notifiées par courrier ne sont pas enfermées dans le délai de quarante-huit heures, même lorsque la décision comporte la mention des voies et délais de recours. A charge pour les préfectures et les services de police de notifier en mains propre les OQTF sans délai, pour garantir l’effectivité des garanties que le ressortissant étranger tient de la loi.

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